Cette expérience a débuté il y a 20 ans suite à une rencontre fortuite avec un objet technique industriel : une machine artisanale du XXe siècle (1914-1966). Il s’agit d’une des dernières laveries à sel de la presqu’île guérandaise. Celle-ci fait partie du parcours muséographique du Musée des marais salants de Batz-sur-Mer, labellisé Musée de France.
La démarche de conservation et d’investigation entamée pour comprendre cet objet a alors permis de répondre à de nombreuses questions : comment sauver cet objet mobilier fait de métal et de bois et fortement détérioré par le sel ? Comment fonctionnait-il ? Quelle était sa capacité de traitement ? Pourquoi laver le sel de Bretagne ? Comment l’utilisait-on ? Pourquoi le lavage s’est-il arrêté et pourquoi commercialise-t-on aujourd’hui du sel gris ? Mangerait-on de nos jours du sel impropre ? La prise en compte d’un système technique complet dans ses multiples aspects sociaux, économiques, industriels a alors permis de comprendre l’évolution des valeurs transmises par ce produit de consommation courante.
Après une première phase d’analyse, la capitalisation des connaissances intrinsèques de l’objet a permis de délivrer le savoir-faire nécessaire pour concevoir et utiliser la machine à sel. Ainsi, suite à une numérisation 3D, sa modélisation 3D sous la forme d’une maquette numérique 3D a permis de déduire des informations sur les flux de production mis en œuvre : quantité de sel lavé recueilli, lavé, vendu, exporté.
Mais cette machine faite de bois et de métal est dans un état de dégradation tel qu’il fut impossible de la sauvegarder ; un démantèlement était donc inévitable. Malgré tout, la problématique soulevée par cette découverte pour tenter de répondre à la question « pourquoi laver du sel ? » a convaincu les conservateurs d’inscrire cette nouvelle étape dans l’histoire du sel. Ce rebondissement technico-historique va être intégré au parcours muséographique du futur musée. En effet, dans le cadre de l’agrandissement du Musée des marais salants de Batz-sur-Mer, il a été décidé de reconstruire l’objet à échelle 1. Les travaux sont en cours et suscitent de nombreuses questions de la part des artisans en charge de la reconstruction : la machine doit-elle re-fonctionner réellement ? Où retrouver une vis dans le catalogue actuel ? etc.
Notre problématique de recherche permet, le temps d’un instant, de voyager dans d’autres mondes de la technique en revisitant d’anciennes techniques ou des sites industriels oubliés, peu connus, voire inconnus. Les études d’archéologie industrielle menées ont été réalisées en collaboration avec de multiples acteurs du bassin nantais : aussi bien pédagogiques qu’industriels ou associatifs. Les équipes projets interdisciplinaires ont mis en œuvre des connaissances appartenant au présent de la conception, mais également au savoir-faire passé. En réinjectant cette « nouvelle » culture technique dans nos modes de conception contemporains, l’archéo-conception pourrait devenir un tremplin pour l’innovation industrielle ou une nouvelle forme d’enseignement technologique par l’histoire.
Source: Florent Laroche, « Une nouvelle forme de capitalisation des connaissances grâce à l’archéologie industrielle avancée », Documents pour l’histoire des techniques [En ligne], 18 | 2e semestre 2009, mis en ligne le 29 décembre 2010, consulté le 29 mai 2015. URL : http://dht.revues.org/186