La poudrerie digitale
La Poudrerie Royale de Saint-Chamas – Miramas est un ancien complexe industriel créé par Louis XIV en 1690 qui a fermé ses grilles en 1974, laissant derrière lui trois siècles d’activité et une économie locale fortement impactée. C’est un témoin exceptionnel de l’histoire industrielle, enfin comme une aventure humaine qui a marqué les habitants de Saint-Chamas, de Miramas et des villes alentours.
Le « Projet Poudrerie » a été lancé fin 2011, par l’association ID Méditerranée. Il vise, outre la valorisation des archives et du site patrimonial, à sensibiliser à la richesse de ce site historique.
Le site de la Poudrerie, aujourd’hui privé de son industrie autrefois florissante, ne permet plus au visiteur de visualiser le fonctionnement des machines, d’entendre le bruit des roues à aubes ou encore de sentir les odeurs de la poudre noire. La réalité virtuelle peut être une solution partielle à ce manque, en ce sens qu’elle permet de restituer une partie de l’histoire à travers une maquette numérique des ouvrages et outillages de l’époque. Elle permet aussi de faire découvrir le fonctionnement du site aux publics de tous âges.
Le projet “poudrerie digitale” est une collaboration inter-disciplinaire entre ID Méterrannée et EPOTEC ; de plus, Sébastien Rouquet, élève ingénieur de l’Ecole Centrale de Nantes a rejoint l’équipe pour cette expérimentation. Ce partenariat de deux ans a pour objectif un travail de recherche et d’étude menant à la conception de bases de données et de maquette 3D dynamiques.
Plusieurs phases se sont enchainées avec un chantier de recherche et d’observation de terrain à la Poudrerie, enrichis par deux journées de recherches complémentaires aux centre de Archives de l’Armement du Ministère de la défense (CAA) à Châtellerault. Lors de ce chantier d’été, l’équipe regroupant des membres d’ID Méditerranée et les ingénieurs-historiens nantais ont réalisé des recherches et des relevés de terrain, afin de compléter les données déjà recueillies dans le cadre d’un travail documentaire préalable. A l’issue de la mission, des modèles de données et trois maquettes 3D dynamiques ont été produites et présentées au public et aux partenaires du projet lors d’une conférence le 31 octobre 2014 à la Mairie de Saint-Chamas.
Cette contribution de six mois, qui a nécessité près de 500 heures de travail, dont environ 250 sur la production des maquettes 3D et de leurs applications, réponds à deux objectifs principaux : tout d’abord, la restitution d’une partie de la chaîne de production de la poudre noire à l’aide d’outils 3D ; puis l’apport de données nouvelles pour faciliter la compréhension du processus industriel de la Poudrerie, le tout au bénéfice des publics dont les attentes sont de plus en plus importantes par rapport à la connaissance de leur patrimoine local.
Quel travail a été réalisé ? Pour quels résultats ?
1. Le travail de fond préalable à la création numérique
La zone ciblée par les travaux est celle de la fabrication de poudre noire. Elle regroupe plusieurs sites :
- Côté Saint-Chamas : la zone des anciens martinets à poudre noire « de sa Majesté Louis XIV », située au-dessus de l’actuel théâtre de verdure
- Sur le Parc de la Poudrerie : la zone des usines hydrauliques sur une bande de terrain de 250m du théâtre de verdure de Saint-Chamas vers le Nord, au pied de la colline du Baou.
A. Un détour historique essentiel pour comprendre le travail de modélisation
La poudre noire, mélange de soufre, de salpêtre et de charbon, est obtenue par un enchaînement d’étapes de fabrication. Un exemple de ces enchaînements-types est la trituration par meules. La matière première est d’abord mélangée deux à deux, le soufre et le charbon donnent le binaire de soufre alors que le charbon et le salpêtre donnent le binaire de salpêtre. Les binaires sont ensuite mélangés à l’eau et triturés dans les moulins. Le mélange obtenu sous forme de galettes est séché et réduit en poudre par un grenoir. Tamisés pour former une poudre avec une granulométrie constante, les rejets de petite taille repassent dans une presse pour former à nouveau des galettes. La poudre est ensuite prête à être stockée.
La force hydraulique joue un rôle primordial dans le fonctionnement des moulins à poudre. En effet, elle permet de produire la poudre noire du XVIIème siècle jusqu’en 1924, date de construction de la centrale hydroélectrique, où l’électricité la remplace progressivement. Le réseau hydraulique est à ce titre fortement présent sur tout le site de la Poudrerie par de nombreux canaux permettant d’amener l’eau aux martinets, puis aux usines. Certaines traces de ces ouvrages sont encore visibles aujourd’hui, il suffit d’ouvrir l’œil !
B. Différentes étapes de travail d’étude et de recherches
Phase 1 : recherches archivistiques et bibliographiques préalables. L’ensemble des fonds étudiés par ID Méditerranée est disséminé dans différents sites en France : Archives Municipales de Saint-Chamas et Miramas, Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, Centre des Archives de l’Armement et du personnel du Ministère de la défense à Châtellerault, et de nombreux fonds d’archives privés.
Les recherches se sont concentrées sur les ouvrages et outillages entrant dans la production de la poudre noire sur deux périodes emblématiques : tout d’abord, les origines de la Poudrerie au XVIIe siècle, puis l’apogée de la poudre noire à la fin du XIXe – début du XXe siècle.
Phase 2 : étude de terrain. Des relevés numériques des bâtiments de la poudrerie ont été réalisés par l’équipe, ainsi que des fouilles superficielles autour de certains bâtiments afin de déceler le moindre indice du passé. De même, des relevés photographiques et photogrammétiques ont complété ce travail méticuleux. Des entretiens personnels avec d’anciens poudriers ou descendants de poudriers ont également été menés pour enrichir ce corpus.
Phase 3 : développement de la base de données et conception de maquettes 3D. La conception assistée par ordinateur (CAO) est l’ensemble des logiciels et techniques de modélisation géometrique qui permet de conçevoir, simuler et tester des produits manufacturés et les outils permettant leur fabrication. Une base de donnée a été créée à partir du logiciel CATIA (conception assistée tridimentionnelle interactive appliquée) qui est une référence parmi les logiciels PAO, notamment utilisée dans l’industrie automobile et aéronautique.
Des maquettes tridimentionnelles faisant apparaître les ouvrages et outillages en situation de production ont été réalisées à l’aide du logiciel CAO sous CATIA. Elles donnent une représentation tridimentionnelle de la machine et du bâtiment qui l’accueillait. A partir des éléments trouvés lors de la phase d’étude et de recherche et des connaissances de l’ingénieur en charge de la réalisation du modèle, une maquette 3D de la machine, la plus fidèle à la réalité possible, a été créée.
Après avoir superposé les archives et la modélisation tridimensionnelle, l’application finale peut être créée. On donne « vie » à la maquette, partant des fichiers CAO exportés dans 3DS Max pour rassembler les deux maquettes et texturer l’ensemble. Les fichiers sont ensuite transférés sur Unity, un moteur 3D/2D temps réel gratuit, qui permet de créer des applications de réalité virtuelle à destination de plateformes connues comme PC, Mac, Ipad, Android…
A l’aide du logiciel Unity, l’ingénieur peut créer l’environnement des machines, ajouter des détails contextuels (eau, végétation), incorporer une bande sonore. Cela lui permet aussi d’animer les machines, et de créer une interface graphique.
Poudrerie digitale – maquette de travail n°1, mise en ligne le 7 novembre 2014.
En guise de conclusion…
Ce travail de fond réalisé par l’équipe du projet poudrerie et de ses partenaires est une première étape décisive pour l’avancée de la connaissance technique et historique du site de l’ancienne Poudrerie royale de Saint-Chamas.
Les recherches menées permettront à terme de développer de nouveaux outils de médiation pour que les publics puissent comprendre de manière didactique et interactive le fonctionnement des machines et des outils à partir des vestiges qui se trouvent sur le site de la Poudrerie. Cela permet dans le même temps de faire « vivre » ce patrimoine historique et industriel au grand public, et ainsi faire perdurer la mémoire de ce lieu. En outre, l’équipe ID Méditerranée / Ecole Centrale de Nantes a conçu le contenu d’une signalétique historique relative à la zone de production de la poudre noire (une dizaine de panneaux d’archives et productions documentaires assorties d’une analyse historique grand public) que le Conservatoire du Littoral, propriétaire du site, pourra mette en œuvre, au bénéfice des nombreux visiteurs accueillis sur le site chaque année.
Propos recueillis par Carole Koch, adaptation du texte original projetpoudrerie.wordpress.com